En Somalie, les islamistes déclarent la guerre aux «infidèles»
lefigaro.fr (avec AP et AFP)
07 juin 2006, (Rubrique International)
«Tous les Somaliens doivent défendre les tribunaux islamiques parce qu'il ne s'agit pas de combats entre clans, mais d'une guerre contre les infidèles», appelle mercredi le plus haut dignitaire musulman du pays, Sheikh Nur Barud. George W. Bush, qui soutient les opposants à l’Union des tribunaux islamiques, se dit « inquiet ».
http://www.lefigaro.fr/ Chassés de la capitale par les milices des tribunaux islamiques lundi, les combattants de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT) se préparent à défendre le bastion stratégique de Jowhar, 75 km au nord-ouest de Mogadiscio. Aucun combat n'était cependant signalé mercredi près de cette ville, ni dans la capitale somalienne.
Jowhar, où des centaines de miliciens fidèles aux seigneurs de la guerre somaliens consolidaient leurs positions, est contrôlée par Mohamed Dheere, membre de l'Alliance pour le rétablissement de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), qui bénéficie du soutien des Etats-Unis. «Si nous voyons des mouvements parmi les milices islamistes, nous attaquerons», a affirmé Dheere. «Nous n'attendrons pas d'être attaqués», a-t-il ajouté depuis sa base située au sud de Jowhar, à environ trois kilomètres des positions des islamistes. Depuis, Dheere aurait gagné l’Ethiopie pour chercher des renforts.
Lors d'une intervention sur des radios locales somaliennes, Sheikh Nur Barud, le plus haut dignitaire musulman en Somalie, laissait craindre une reprise des affrontements. «Tous les Somaliens doivent défendre les tribunaux islamiques parce qu'il ne s'agit pas de combats entre clans, mais d'une guerre contre les infidèles», a-t-il déclaré. «Ces combats sont entre ceux qui soutiennent l'islam, d'une part, et les envahisseurs impies et ceux qui les soutiennent, d'autre part», a ajouté ce religieux membre des tribunaux islamiques, en référence à l'ARPCT.
«Donner une leçon que les Etats-Unis n'oublieraient pas»
De leur côté, les chefs coutumiers ont reconnu mercredi avoir peu de succès dans leur tentative de parvenir à un cessez-le-feu. «Nous essayons de voir comment nous pouvons commencer des pourparlers de paix pour éviter une autre guerre qui tuera des centaines de personnes», a déclaré un médiateur, Mohamed Farah Jumale. «Mais actuellement, nous n'avons pas d'accord et il est possible que les chefs de guerre se regroupent et commencent à se battre selon des lignes claniques», a-t-il ajouté.
Washington craint que la Somalie ne devienne un nouveau repaire pour Al-Qaïda dans la Corne de l'Afrique. Mardi soir, au Texas, le président George W. Bush s'est inquiété de l'«instabilité» somalienne. « La première préoccupation est, bien sûr, de s'assurer que la Somalie ne devienne pas un havre pour Al-Qaïda, un endroit d'où les terroristes peuvent comploter et s'organiser ».
«Nous surveillons la situation de près, et nous ferons plus de stratégie sur la meilleure manière de riposter aux derniers incidents en Somalie lorsque je regagnerai Washington », a-t-il ajouté. Au Département d'Etat, le porte-parole Sean McCormack soulignait pour sa part que la milice des tribunaux islamiques est elle-même composée de « nombreuses factions différentes », également sur des bases claniques, laissant entendre que des divergences pourraient ne pas tarder à affaiblir ce mouvement.
En réponse aux inquiétudes de George W. Bush, le chef des tribunaux islamiques somaliens, cheikh Sharif Sheikh Ahmed, a menacé mercredi de «donner une leçon qu'ils n'oublieraient pas» aux Américains s'ils interviennent en Somalie, dans un entretien publié mercredi par le quotidien Asharq al-Awsat. Cheikh Sharif, 42 ans, a par ailleurs affirmé qu'il n'avait aucun lien avec les talibans, chassés du pouvoir en Afghanistan par l'armée américaine. Il a également qualifié les Etats-Unis de «plus grand Etat terroriste du monde».
Divers clans et sous-clans font la loi
Dans la capitale, les milices islamistes rencontrent déjà une résistance. Mardi, des milliers de Somaliens ont réclamé le départ des fondamentalistes dans les rues de Mogadiscio. Ce qui prouve que les miliciens religieux, bras armé des tribunaux islamiques qui veulent instaurer la charia, pourraient avoir du mal à garder le contrôle de la ville, où les divers clans et sous-clans font la loi et s'affrontent quasiment sans répit depuis la chute du régime dictatorial de Mohamed Siad Barre en 1991.
Depuis le mois de février dernier, les combats qui opposent l'ARPCT et les milices des tribunaux islamiques ont fait au moins 347 morts.
La résistance aux islamistes s'organise à Mogadiscio
T. B.
Le Figaro 07 juin 2006, (Rubrique International)
http://www.lefigaro.fr/ Les chefs de l'union des tribunaux islamiques semblent vouloir pousser leur avantage. Au lendemain de la proclamation de leur victoire dans Mogadiscio, les miliciens s'approchaient de Jowhar. La ville, à moins d'une centaine de kilomètres de la capitale, est le plus puissant bastion de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT).
Chassée hors de Mogadiscio, la dizaine de chefs de guerre qui fondent l'Alliance, s'y sont repliés avec leurs forces : une centaine de pick-up équipés d'armes lourdes et un millier d'hommes selon des témoins. Après les sévères défaites des derniers jours, l'ARPCT, en dépit du soutien financier des Etats-Unis, semble affaiblie. Pour les déloger et emporter la dernière bataille, les islamistes ont massé près de 500 miliciens à 10 kilomètres des portes de la cité. «Les tribunaux veulent capturer Jowhar. Les combats peuvent commencer à tout moment», assurait hier Ali Nur, l'un des seigneurs de la guerre replié dans la ville.
La «talibanisation» de la Somalie est inacceptable
Mais, comme souvent en Somalie, rien n'est encore certain. Ajoutant à la confusion, plusieurs des très écoutés et très puissants anciens, représentant les clans et les sous-clans qui divisent la société somalienne, semblaient hier s'opposer à l'ultime assaut. «Prendre Mogadiscio et contrôler la ville sont deux choses différentes, analyse un spécialiste qui veut rester anonyme. L'Union des tribunaux islamistes n'est pas un groupe uni et la victoire acquise va laisser apparaître les oppositions traditionnelles entre les clans rivaux.»
Et de fait, dès hier, une hostilité au nouvel ordre s'est déclarée. À l'appel du sous-clan des Abgal, environ deux mille personnes, encadrées d'une centaine d'hommes armés, ont manifesté leur opposition au règne de l'Union. «On veut établir une ligne de défense politiquement et militairement», a assuré à l'AFP Hussein Cheikh Ahmed, un influent chef coutumier abgal.
Non pas que l'homme soit opposé au projet des tribunaux d'instaurer un Etat islamiste dans le pays. Il refuse juste la mainmise de ces «étrangers» sur ce qu'il considère comme «son» territoire. Des diplomates redoutent de voir ce clan fonder maintenant son propre tribunal islamique. Au risque de relancer la guerre dans la ville.
Ils s'inquiètent également de la réaction des Etats-Unis. La chute de la capitale somalienne représente un vif échec pour Washington, qui a soutenu en vain ces derniers mois les chefs de guerre somaliens pour contrer la montée en puissance des milices islamistes.
Or, pour l'administration américaine, la perspective d'une «talibanisation» de la Somalie est inacceptable. Le président George Bush, qui s'est avoué «inquiet», a déclaré hier soir qu'il préparait une réponse américaine aux événements récents, pour faire en sorte que la Somalie ne devienne pas un repaire pour al-Qaida. De son côté, Mohammed Ali Gedi, le premier ministre intérimaire somalien, semble avoir choisi son camp. Interrogé hier sur RFI, il s'est félicité de la déroute des chefs de guerre «qui nuisaient à la réconciliation, à la stabilisation et à la pacification de la Somalie».
Somalie
Cheikh Sharif : «Le premier but des tribunaux islamiques, c'est la stabilité sécuritaire»
par Laurent Correau, Mouna El Banna
RFI
Article publié le 07/06/2006Dernière mise à jour le 07/06/2006 à 12:49 TU
http://www.rfi.fr/actufr/articles/078/article_44226.asp Le chef de l’Union des tribunaux islamiques, Cheikh Sharif : «Nous ne voulons pas imposer quoi que ce soit à la population somalienne, mais nous estimons que la charia islamique peut être appliquée, parce qu'on y trouve toute la justice, toute l'égalité et tout l'amour.»
Dans un entretien à RFI, le chef de l’Union des tribunaux islamiques, dont les miliciens ont pris le contrôle de Mogadiscio, esquisse les grandes lignes de son programme. Parmi les priorités : le retour à la stabilité, l’autodétermination et la négociation avec le gouvernement de transition.
RFI : Quel est votre programme ?
Cheikh Sharif : La Somalie a souffert et continue à souffrir d'énormément de problèmes parmi lesquels les guerres civiles qui ont eu lieu pendant seize ans, le problème de l'instabilité. Les tribunaux islamiques visent essentiellement la stabilité sur le plan sécuritaire. Le premier but des tribunaux islamiques, c'est que la Somalie retrouve la sérénité, la stabilité sécuritaire.
RFI : Comment voyez-vous l'avenir de la Somalie ?
Cheikh Sharif : Je le vois rayonnant. Le peuple somalien n'a jamais pu décider de quoi que ce soit. Il n'a pas été libre depuis la colonisation. Et maintenant, l'occasion s'offre à lui de décider de ce qui lui convient.
RFI : Voulez-vous contrôler tout le pays ?
Cheikh Sharif : Pas du tout. Pourquoi devrions-nous occuper tout le pays ? Nous, tout ce que nous voulons, c'est que le peuple somalien soit libre, qu'il puisse exprimer sa volonté et ait le pouvoir de décider, comme il l'entend.
RFI : Voulez-vous appliquer la loi islamique ?
Cheikh Sharif : Nous sommes musulmans, et je ne crois pas que la charia nous soit interdite mais la décision revient au peuple somalien. C'est lui qui décide de ce qu'il veut. Nous ne voulons pas imposer quoi que ce soit à la population somalienne, mais nous estimons que la charia islamique peut être appliquée, parce qu'on y trouve toute la justice, toute l'égalité et tout l'amour.
RFI : Et comment le peuple choisira-t-il ?
Cheikh Sharif : Evidemment, le choix est connu. Les tribunaux islamiques ont été plébiscités par les forces populaires dans la capitale somalienne quand la situation est devenue difficile, avec le désordre, les assassinats et les enlèvements, quand tout cela a beaucoup augmenté. Maintenant, nous voulons laisser au peuple somalien la possibilité de choisir ce qu'il veut. Il y a des syndicats, il y a des chefs coutumiers, il y a des intellectuels, des oulémas. Les différentes composantes de la société pourront choisir ce qu'elles veulent. Ce sont elles qui savent ce qui leur convient.
RFI : Reconnaissez-vous le gouvernement de transition ?
Cheikh Sharif : Ca n'est pas une question de reconnaissance : c'est maintenant une question de négociation. On sait comment le gouvernement a été choisi, comment on a préparé ce gouvernement. Tout cela est connu. Mais il faut que nous soyons réaliste. La société somalienne est fatiguée des désaccords et du désordre, de la pagaille entre les Somaliens et nous essayons autant que possible de rapprocher les Somaliens les uns des autres. C'est en négociant avec le gouvernement que nous allons savoir si l'un n'accepte pas l'autre et si les deux parties vont s'accepter mutuellement.
RFI : Donc vous êtes prêt à ouvrir des négociations avec le gouvernement.
Cheikh Sharif : Nous sommes prêts à négocier avec n'importe quelle partie. Nous sommes ouverts.
RFI : Quand vous dites « Nous savons comment ce gouvernement a été choisi », que voulez-vous dire ?
Cheikh Sharif : Je veux dire qu'il y a des forces extérieures au pays, des ennemis du peuple somalien qui ont été derrière la formation de ce gouvernement. Mais quoi qu'il en soit, ce gouvernement est un gouvernement somalien et nous devons autant que possible négocier, nous entendre et nous rapprocher.