Quand on lui montre la lune, l'idiot regarde le doigt: L'islam radical prêche dans le désert
Un rapport rend compte de la crise politique du jihadisme dans la société française.
Par Catherine COROLLER
Libération samedi 11 mars 2006
Et si ceux qui accusent l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ou les mouvements de jeunesse musulmane proches de Tariq Ramadan de préparer l'avènement d'une République islamique de France se trompaient ? Et si ces groupes étaient au contraire en perte de vitesse auprès des musulmans, notamment des jeunes ? Et si l'épuisement de cette mouvance islamiste politique n'était pas forcément une bonne nouvelle ? Dans un rapport rendu public vendredi (1), l'International Crisis Group, institut de recherche européen dont la vocation est la prévention des conflits dans le monde, est catégorique : «La France a un problème avec ses musulmans et ses banlieues qui s'exprime sur le mode de l'émeute comme sur celui du terrorisme», mais «ce n'est pas celui qu'elle croit». En 2005, deux séries d'événements ont reposé la question de l'intégration des populations musulmanes dans la société française : l'embrasement des banlieues en octobre-novembre et des arrestations dans le milieu jihadiste, dont celles d'un groupe basé dans le XIXe à Paris (Libération du 21 mai 2005). A l'origine de ces phénomènes, «l'essoufflement de l'islamisme politique bien plus que sa radicalisation», écrit Patrick Haenni, l'auteur du rapport.
Pour ce chercheur suisse spécialiste de l'islam, les banlieues sont aujourd'hui un désert politique. Le mouvement des Beurs et la forte dynamique associative qu'il a engendrée dans les années 1980 ont échoué, provoquant une défiance envers les institutions, comme les mobilisations religieuses à caractère islamiste des années 1990. La participation de l'UOIF au Conseil français du culte musulman, instance créée par Nicolas Sarkozy, et la notabilisation de ses leaders, a décrédibilisé cette organisation auprès de la base musulmane, et les mouvements de jeunes musulmans trop intellectuels n'ont pas réussi à s'ancrer dans les quartiers.
Du coup, «un dangereux vide politique règne, surtout au sein de la jeunesse désoeuvrée des banlieues», écrit Haenni. Coïncidence ? «L'épuisement de la mouvance islamiste coïncide avec la montée du salafisme.» Deux mouvements missionnaires se font concurrence : le Tablîgh, en perte de vitesse, et le salafisme. Religion de repli sur l'individu ou le groupe des frères, le salafisme prône la rupture avec la société française mais pas avec la modernité, ce qui explique une partie de son succès. Dans sa forme extrême, il prêche le jihad.
Spectaculaire et souvent brandi comme un spectre par ceux qui diabolisent l'islam et les musulmans, le jihadisme reste minoritaire, même s'il mobilise «à partir d'un discours anti-impérialiste "islamisé" et dopé par les questions palestinienne et irakienne, sur le plan international, et par les discriminations en France» très fédérateur dans les banlieues.
«Plus que par la tentation jihadiste, c'est par la révolte que s'exprime la revendication politique lorsque les encadrements citoyens font défaut, note Patrick Haenni. L'embrasement des banlieues d'octobre et novembre 2005 s'est fait sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers.»
En conclusion, Patrick Haenni fait une série de recommandations. Les problèmes venant selon lui de la «crise de la représentation politique des populations musulmanes et des cités», il préconise «au-delà des solutions sécuritaires ou socio-économiques, un traitement politique», et demande au monde occidental de se saisir des «grands dossiers qui alimentent les mouvements jihadistes» : la question palestinienne et la guerre en Irak.
(1)
www.crisisgroup.org/home/ index.cfm?id=4014&l=2
http://www.liberation.fr/page.php?Article=366211